٢٤‏/٨‏/٢٠٠٥

Zohra Lajnef a Découvertes 21 i Tunisie


7E Session de Découvertes 21
De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace
"Créer ensemble tout en respectant l’identité de chacun", tel est la devise du festival Découvertes 21. Aussi bien les ateliers que les spectacles respectent ce principe. Et c'est pour cette raison que tous les concerts programmés durant ces quatre jours de festivités ont été le fruit d'une réelle recherche musicale. Ils étaient tous des concerts métissés qui brisent toutes les frontières et dépassent toutes les limites.
Zohra Lajnef était la première à relever le défi. Elle s'est produite lors de la première soirée en compagnie de la chanteuse française Guylaine Renaud. Très différentes l'une de l'autre, elles ont pourtant trouvé un point commun: chanter le patrimoine sur un ton de modernité. L’une, troubadour marseillaise qui a interprété un chant marié au conte dévoilant autant de poésie que d’anecdotes et de chroniques. L’autre, bédouine originaire de Gafsa, s’est évadée dans une rythmique bien spécifique du Sud tunisien. Elle suit la danse du vent, s’inspire des chants des montagnes et raconte la vie des nomades. Toutes les deux se sont réunies pour chanter la mémoires de leurs peuples.
"Tambours de Méditerranée" est aussi un spectacle qui marie les cultures dans la frénésie la plus totale. Le groupe Haïmak et des participants volontaires d’El Jem, après quelques jours d’ateliers, ont roulé ensemble les tambours sur l'esplanade de l'amphithéâtre. Leurs mouvements étaient harmonieux et bien fignolés grâce aux baguettes des percussionnistes tunisiens et italiens.
Dans une ambiance plus calme, intervient TransDiwan, un groupe qui essaye de créer un langage commun entre les cultures noire et blanche des pays du Maghreb. C’est une rencontre entre musiciens d’origine transsaharienne, transméditerranéenne, venus du Stambali de Sidi Ali Lasmar à Tunis, du Diwan de Biskra en Algérie et des Daqqas Roudanias au Maroc. Ils ont mélangé le sacré et le profane à travers une transe bien particulière. Une transe qui traduit la déchirure de la séparation et la quiétude d'un instant de prière. Art et Jeunesse El Jem (AJE), l'association qui organise depuis sept ans cette manifestation, a fondé cette troupe avec la collaboration d'une autre association française, Ektic.
En respectant toujours le même esprit du métissage, Découvertes 21 s'ouvre sur la musique électronique en mélangeant les rythmes du Tunisien DJ Kaïs Ben Mabrouk, de l’Italien Tommaso Livoli et du Français Big Buddah. Une architecture sonore qui relie plusieurs conceptions et plusieurs langages dans une ambiance, le moins qu'on puisse dire "électrisante".
Nabil Khémir a ouvert la seconde soirée. Et ce n'est pas par hasard qu'il s'est trouvé là. Pour ceux qui ne connaissent pas cet artiste tunisien, il est un des musiciens qui ne s'arrêtent devant rien pour servir une avide curiosité et une grande audace. Nabil Khémir s’est créé un instrument, nommé “Ray Jam”, moitié luth, moitié guitare, "moitié ange, moitié diable". Grâce à ses cordes combinées, il joue plus facilement les modes orientaux et les rythmes du jazz et du blues. Bref, “Parfum d’orient, parfum d’occident” est le titre de ce concert basé essentiellement sur une improvisation aux diverses sources d’inspiration.
De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, Tranteljem est allé très loin dans cette conception de mélange de styles et de modes musicaux. Et ce n'est uniquement pas de musique qu'il s'agit mais aussi de danse. Sur des tapis qui couvrent en entier l’esplanade du colisée, Gianni Bruschi et Maristella Martella, les animateurs de l'atelier danses et musiques de Méditerranée, ont présenté un spectacle aussi original que sympathique. Deux femmes, pieds nus, mèches rebelles couvrant leurs visages, évoluent sur scène. Bien que leurs mouvements soient simples et leur chorégraphie dénudée de toutes figures complexes, elles semblent bouillonnantes d’énergie et de toutes sortes de réflexions. Leurs corps vibrent sur une musique saccadée, comme si elles attendent l'heure d'un jugement ou comme si elles étaient des tigresses qui attendent le moment idéal pour une attaque ciblée. Leurs gestes se répètent inlassablement, mais chaque fois sur un rythme nouveau. Un rythme enflammé par la percussion déchaînée, au point que, de temps en temps, un cri surgit spontanément de la scène. Des voix s’entremêlent aux instruments dans des chants qui s’imprègnent de raï, de chants du patrimoine tunisien, berbère, montagneux ou tout simplement de la Pizzica, expression musicale et danse thérapeutique parmi les plus représentatives de l’esprit italien du sud. Une véritable transe.
Découvertes 21 a consacré le reste de cette deuxième soirée à une transe religieuse avec deux troupes qui ont chacune innové dans le répertoire soufi. D'abord l’ensemble Al Kindi, sous la direction de son fondateur Julien Weiss et le chef de confrérie shikh Habboush, ensuite une Hadhra tunisienne, signée Mounir Troudi. Chacun a eu droit à presque une heure et demie de spectacle (voir encadré) avant de se réunir pour unir leurs voix. Ils ont chanté ensemble, chacun à sa manière, l'amour divin. Un mariage qui prouve que toutes les musiques se rejoignent quand il s'agit d'amour et de sincérité.
Le luthiste tunisien Yadh Elyès et l'accordéoniste français Didier Ithursarry ont présenté à la troisième soirée une "Histoire de cœur". Et quand un cœur est débordant d'émotion, l'histoire ne peut être que passionnante. Complexe et plein de paradoxe, Yadh Elyès a toujours varié les modes, allant de l'oriental aux airs de jazz, tout en conservant une touche de douceur et de tendresse qui caractérise son jeu. Profondément sensuel, le luth de Yadh s'apprête à toutes sortes de création et surtout à l'accordéon, un instrument qui rime parfaitement avec ce luth assoiffé de liberté et d'innovation.
La fête continue avec toujours cette devise de marier les rythmes et les musiques. L’audace est allée jusqu'à marier le flamenco à un orchestre symphonique. La musique improvisée et la musique écrite, une musique guidée par la pulsation spontanée d'un cœur qui bat la chamade et une musique qui ne s'exhale que suite à l'ordre de la baguette d'un maestro rigoureux et discipliné. Juan Carmona était à la guitare, à ses côtés sa troupe et derrière lui l'orchestre. Le flamenco qu'ils jouaient avait un air différent du pur traditionnel. Il était adouci par le son du violon soliste et les gémissements d'une basse électrique. L'orchestre ne semble rien ajouter à l'ensemble de Juan Carmona, déjà bien soudé et qui semble ne s'apprêter à aucun nouvel arrangement. L'orchestre, à peine audible derrière la guitare qui se fait reine, s'est réduit à un simple accompagnement du flamenco.
La fête s'est terminée avec une expérience de qualité, celle de Tesmine jazz. Accompagné d'un piano et d'un saxophone, Dorsaf Hamdani a donné libre cours à une vocalise bien particulière. Elle chantait les maouel des qasid, et même des airs de la musique Rahabani, avec une voix sûre et cristalline, pleine d'ornement et d'intonation. Elle semble vouloir se libérer des mots et des rimes, les vers qu'elle interprète perdent leur rythmique et obéissent à la loi de l'improvisation. Spontanément et avec beaucoup de grâce, cette chanteuse de haute performance vocale, change de répertoire, en suivant tantôt les instruments occidentaux, tantôt les instrument orientaux, à savoir le luth de Khaled Ben Yahia et le violon de Béchir Selmi, et la percussion de Lassaâd Hosni qui étaient comme un trait d'union entre ces deux mondes.
Une clôture satisfaisante qui confirme la devise de ce festival qui, malgré son jeune âge, arrive à s'affirmer grâce à une profonde conviction que sans audace rien ne peut être réalisable.
Héla HAZGUI

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